Le Grand Théâtre
Après la destruction du "Théâtre de la Citadelle" ou "Théâtre des Barres", plusieurs théâtres de fonds privés essayèrent de séduire les Havrais, pour beaucoup, sans succès... Finalement, la Ville décida quand même de contruire une vraie salle de spectacle sur un terrain cédé par la Marine, la place Louis XVI (future place Gambetta), face au Bassin du Commerce, symbole de la puissance économique du Havre. Voici ce qu'on en dit dans une description du Havre datée de 1825 : " La Salle de spectacle est située vis-à-vis le bassin d'Ingouville, sur un des côtés d'une place très spacieuse. Je crois qu'il étoit impossible de construire un édifice de ce genre dans une situation plus favorable. Placé aux fenêtres du foyer, on aperçoit plusieurs bassins couverts de navires, la porte royale, de beaux remparts et des coteaux d'un aspect très pittoresque. [...] Ce monument, dont la façade auroit pu être faite sur un plan plus heureux, offre un intérieur orné avec un goût parfait."
La première pierre du Grand Théâtre fut posée par le duc d'Angoulême, le 19 octobre 1817. Terminée en 1823, la salle avait coûté 2 millions 300.000 francs et de nombreux procès. Elle fut inaugurée le 24 août 1823. Casimir Delavigne composa le poème d'inauguration, prononcé devant une affluence extraordinaire de spectateurs. "On y étoit même accouru de plusieurs villes voisines. La salle, éclairée par un fort beau lustre, ornée de dames élégamment parées, offroit un aspect enchanteur."
Le public est au rendez-vous et la nouvelle salle de spectacle fait souvent salle comble. "Les spectateurs du théâtre du Hâvre se composent beaucoup plus de jeunes gens que d'hommes âgés ; on y voit peu de femmes. Dans les représentations solennelles la foule est très considérable, sans cependant qu'elle soit autrement formée. Le public n'aime pas les monstrueux mélodrames qui intéressent les bénévoles habitués des théâtres secondaires de Paris ; il préfère la tragédie qu'on joue rarement, la comédie qu'il voit quelquefois, mais encore plus l'opéra et le vaudeville, que les acteurs représentent avec un ensemble fort agréable."
Cependant, il était dit que les théâtres havrais n'auraient pas une existence heureuse. En effet, le 29 avril 1843, un nouvel incendie ravage le théâtre. Cet événement fera deux victimes : le directeur et son épouse qui ne purent être sauvés des flammes. Dans une lettre adressée à sa mère, Léopoldine Hugo, témoin de l'incendie alors qu'elle résidait chez ses beaux-parents, à l'angle du quai et de l'actuelle rue Edouard Larue dira ceci : "C'était un spectacle effrayant, les flammes s'échappaient d'une immense fumée, le toit était entièrement envahi par le feu, la ville tout entière était éclairée et les lueurs de l'incendie lui donnaient un aspect si étrange que je ne la reconnaissais pas... En peu d'instant, la place fut couverte de monde, les cloches sonnèrent et tous les tambours de la ville parcoururent les rues. Je ne pouvais me détacher de cette fenêtre, j'étais épouvantée et comme fascinée par ce spectacle".
Les Havrais vont de nouveau devoir patienter pour retourner voir une pièce de théâtre dans une salle de ce standing. Cependant, l'attente ne sera pas trop longue. Les travaux de réédification sont achevés en 168 jours et le 17 octobre 1844, on peut rendre aux Havrais leur salle de spectacle. L'extérieur n'a pas subi trop de changements, à l'exception du dôme, qui remplace un toit pointu en ardoise. On ajoute aussi en façade cinq statues qui figurent la Musique, la Poésie, la Tragédie, le Vaudeville et la Danse.
En revanche, l'intérieur est complètement rénové. La décoration, blanc et or, est refaite. On retrouve dans la salle beaucoup de dorures, des tentures rouges, un rideau de scène peint, et un grand lustre descend du plafond. Le théâtre est de conception classique, à l'italienne, c'est-à-dire en demi-cercle, avec un parterre, des loges et quatre étages de galeries, comptant 1369 places assises. Le théâtre est magnifique et c'est à cette époque que les Havrais lui donnèrent le surnom de Grand Théâtre.
En 1880, un péristyle est ajouté en façade, ce qui donne au théâtre encore plus de majesté et de grandeur.
Globalement, le public est fidèle au théâtre, même si les petites gens se massent davantage pour obtenir des places que la bourgeoisie, qui ne suit que les grandes représentations d'opéra, et encore, avec distance.
Cependant, les années passant, il faudra de plus en plus de courage aux spectateurs pour se déplacer à leur salle de spectacle fétiche. Le Grand Théâtre perd en effet peu à peu de sa superbe, et son état devient de plus en plus lamentable. L'insalubrité se retrouve partout. Les fauteuils sont décrépis, les portes capitonnées et les baignoires sont délabrées... Tout est sale et poussiéreux.
Il sera finalement fermé quelques mois en 1937, le temps de le rénover.
Seulement, dans la nuit du 14 au 15 juin 1944, la ville du Havre subit son plus terrible bombardement depuis le début de la guerre. Le Grand Théâtre n'est pas épargné. La partie arrière du bâtiment est ravagée, les loges et une partie de la scène sont détruites. Comme le reste de la partie historique de la Ville, les bombardements du 5 septembre 1944 finiront le travail de destruction et achèveront définitivement le Grand Théâtre.
Cette photo magnifique, que l'on retrouve sur la bannière du blog, se passe de commentaires et illustre parfaitement le titre du blog : Avant le naufrage...
Les Havrais vont attendre longtemps avant de pouvoir retourner voir un spectacle au bout du Bassin du Commerce. Ce ne sera possible qu'à partir de novembre 1982 et l'inauguration de l'Espace Oscar Niemeyer, aussi appelé Volcan.