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Le Havre d'avant... ou l'histoire en photo de la ville du Havre et des Havrais avant la guerre...
29 mars 2008

Le massacre des frères Raoulin (suite)

Il y a une quinzaine de jour, dans un billet paru le 16 mars 2008, j'ai évoqué le destin tragique des frères Raoulin, massacrés en 1599 devant le Logis du Roy. Depuis, j'ai retrouvé un article écrit à propos de cette affaire, dans Esprit du Havre et ses aspects depuis ses origines, ouvrage publié par Julien Guillemard en 1951. Je vous livre l'essentiel du texte.

C'est un épisode mystérieux de l'histoire du Havre, et qui illustre bien son époque, cet assassinat de trois officiers frères de sang. Leur nom : Raoulin, sous lequel la postérité les connaît, était ainsi orthographié dans le testament de leur père, alors que celui-ci, prénommé Robert, y était dit Raullin, avec une ou deux l ; prononciation différente de l'u, peut-être. Ecuyer du roi, il était avocat au Parlement de Rouen et exerçait au Havre, où il habitait.

Tous les historiens du Havre, mais surtout V. Toussaint, avocat, dans sa brochure de 1859, ont relaté ce tragique événement de la vie havraise.

Le 16 mars 1599, trois heures après midi, les trois frères pénétraient dans l'Hôtel de Ville (ex-Logis du Roy) où ils avaient été mandés par le capitaine Goujon, lieutenant du gouverneur Georges Brancas de Villars. Que fut-il dit ? Personne ne le sait exactement. On croit qu'ils comparurent devant un tribunal où siégeaient le gouverneur et son lieutenant entourés par les officiers de la place ; des gardes formant la haie dans la grande salle d'apparat où cette scène se déroulait. On croit que le gouverneur et son lieutenant durent les réprimander fort violemment, et l'on sait qu'ils étaient beaux, élégants, et fiers, et braves. V. Toussaint ne parle que de Goujon, alors que Borély cite aussi Brancas. Certainement, ils étaient d'accord pour faire disparaître les trois frères.

Vint le moment où le capitaine Goujon donna ordre aux gardes de les emmener immédiatement pour les emprisonner dans la Tour, toute proche, comme de vulgaires soldats ivrognes ou des pirates. Ils s'indignèrent, firent valoir qu'ils étaient gentilhommes, et s'efforcèrent d'échapper aux gardes portant cuirasse chargés de les arrêter. Assaillis à coup d'épées et de hallebardes, ils tirèrent eux aussi leur arme et se défendirent courageusement avec leur épée. Mais bientôt percés de coups et ruisselants de leur sang, succombant sous le nombre, ils furent massacrés lâchement, deux dans cette grande salle des assemblées, l'autre près d'une fenêtre donnant sur la cour par où il tentait de fuir et où son vêtement fut accroché par un clou.

La tradition rapporte qu'il fut impossible de nettoyer à fond le pavé, tant il s'était imprégné de leur sang. A la nuit, leurs corps furent transportés secrètement dans l'église Notre-Dame et inhumés en la chapelle Saint-Sébastien, près de la dépouille de leur mère, née Le Thiais. Le lendemain, on fit répandre le bruit qu'ils étaient coupables envers le roi, et ce fut tout. Monsieur le gouverneur Georges Brancas, marquis de Villars (successeur de son frère André), satisfait de sa basse vengeance, crut l'affaire enterrée avec ses victimes, persuadé que cette effroyable boucherie inspirerait la terreur et ferait taire les langues.

Quelle fut la raison de cet ignoble assassinat ? On ne le sait. On a supposé une intrigue amoureuse entre Pierre Raoulin et madame de Villars, soeur de Gabrielle d'Estrées et peut-être moins encore recommandable. On a parlé d'une rancune du gouverneur contre le père des Raoulin, avocat ayant refusé de plaider pour lui une cause qu'il jugeait mauvaise. Goujou, leur tortionnaire, homme détesté par la population alors que les trois frères ne trouvaient que sympathie par la ville, les haïssait. Il doit aussi être tenu compte de l'état d'esprit du moment, où la Réforme, puis la Ligue, avaient dressé tant de Français les uns contre les autres, en dernier lieu contre le Béarnais (Henri IV) à présent le maître et Brancas son disciple. Les trois frères avaient encore l'esprit ligueur, peut-être. Dans son manuscrit, Leveziel dit que : "La tradition de la ville est qu'ils furent mandés pour l'estime que tous les Bourgeois faisaient de leurs personnes, ou parce qu'ils le portaient trop haut, ce qui avait donné de la jalousie au gouverneur."

L'affaire vint devant le Parlement de Normandie, qui délégua deux magistrats auxquels le gouverneur refusa l'entrée de la ville. Sur l'ordre du roi, ils y revinrent, avec un huissier qui fit constat que, malgré les sommations, et les clameurs des habitants demandant justice, la porte resta fermée pour eux. Une nouvelle fois, sur un ordre encore plus formel du roi, les deux conseillers-commissionnaires reprirent le route du Havre, accompagnés par le procureur général, un notaire secrétaire, un huissier, et des valets armés. Comme ils sortaient d'Harfleur, un capitaine leur remit une lettre du gouverneur, prétendu absent, leur signifiant que sans une commission signée du roi, et portant le sceau royal, ils n'entreraient pas au Hâvre-de-Grâce. Ils passèrent outre, mais lorsqu'ils arrivèrent en vue de la porte d'Ingouville, à toutes les portes de la ville les ponts-levis furent dressés. Des pourparlers s'engagèrent. Goujon, demandé, fit savoir qu'il était malade à la porte du Perrey. Rapidement, les hommes du petit groupe gagnèrent cet endroit et, par surprise, y trouvèrent Goujon. Après des explications très vives, ils durent s'en retourner sans avoir pu entrer, furieux de ce déplacement inutile.

Brancas de Villars, courtisan astucieux, était auprès du roi lorsque la nouvelle de cette espèce d'insubordination parvint à la Cour. En termes très nets, il lui fut enjoint d'aller mettre l'ordre dans sa ville. Une quatrième fois, les commissaires prirent la route. Cette fois, ils purent entrer dans la place et y enquêter, mais Goujon était en fuite. A peine les magistrats étaient-ils repartis que le sinistre capitaine assassin reparut, couvert par son chef Villars, dont il avait sans doute fait exécuter les ordres. Ce fut à la grande indignation de la population, exaspérée d'être obligée de vivre "sous le commandement de pareils assassins."

En définitive, lorsque l'affaire fut présentée, enfin, devant le Parlement de Normandie, Goujon, seul mis en cause, fut absous, tant pour le triple assassinat que pour sa rebellion... Heureusement que pour les victimes des coquins de cet acabit, il existe une autre justice qui a un nom : la Postérité. Mais qui sait si Brancas, lui-même, n'avait pas agi par suggestion...

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