Et si Le Havre avait été reconstruit autrement... l'église Saint-Joseph
Cet article fait suite à celui du 21 juillet : Et si Le Havre avait été reconstruit autrement...
Après nous être intéressés à ce qu'aurait pu être la ville si elle avait été surélevée, à ce qu'auraient pu être la place Gambetta, le Grand Théâtre ou le Monument aux Morts, nous allons aujourd'hui nous pencher sur le morceau de choix que s'était réservé Auguste Perret lors de la reconstruction du Havre : l'église Saint-Joseph...
Ce monument est sans aucun doute un de ceux qui connut le plus de modifications avant son érection.
La tour de l'église Saint-Joseph du Havre est dédiée à la mémoire des victimes des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Le curé de l'église Saint-Joseph, l'abbé Marie, aurait demandé à Auguste Perret de s'inspirer de son projet refusé au concours de la basilique Sainte-Jeanne-d'Arc de Paris.
Perspective de la basilique Sainte-Jeanne-d'Arc, Paris (projet de concours), 1er juin 1926, 535 AP 97, n° CNAM 26.10.
Auguste Perret et Raymond Audigier, co-auteurs de l'oeuvre, conservent l'idée d'une église-tour, mais adaptent son plan aux nouvelles tendances du renouveau de l'art sacré qu'entérinera bientôt le concile de Vatican II (1962-1965). L'architecture religieuse tend alors à traduire l'adaptation de l'Eglise catholique au monde moderne. Le modèle liturgique n'est plus celui de la croix latine, mais celui de la salle de spectacle, où l'on recherche une plus grande proximité des fidèles avec les officiants. De la basilique Sainte-Jeanne-d'Arc, les architectes conservent la croisée des transepts, cette réduction aboutissant à l'élaboration d'un plan presque carré où la visibilité sur le maître-autel central, placé juste sous la tour lanterne, est excellente.
Il est à noter l'influence Raymond Audigier dans les simplifications successives du monument. Il voulait que cette église-tour soit un cierge remerciant Dieu pour l'armistice et ceci en respectant l'esprit d'une grande simplicité religieuse. Auguste Perret était athée et Raymond Audigier très croyant, ce qui à l'époque de la construction était une différence importante, mais qui n'empêcha pas les deux hommes de très bien communiquer et de faire converger leurs idées.
Sur le plan technique, la basilique Sainte-Jeanne-d'Arc demeure le modèle : "Quatre groupes de quatre piliers de 1,20 m x 1,20 m, reposant sur des puits descendant à plus de 12 m de profondeur, supportent à 25 m de haut, par l'intermédiaire de quatre coupelles, la tour proprement dite, élément de transition supportant le campanile - la hauteur totale de l'église étant ainsi de 104 mètres". Perret et Audigier ont réduit de moitié la hauteur du clocher-tour par rapport à celle de la basilique Sainte-Jeanne-d'Arc.
Vue d'un pilier intérieur, 535 AP 661/2.
Les quatre groupes de piliers situés au nord et au sud de l'entrée abritent en leur centre le baptistère et la chapelle des morts. Nulle sculpture, nulle décoration rajoutée ne surchargent le béton laissé brut de décoffrage. Seuls les verres colorés de Marguerite Huré, maître verrier et amie d'Auguste Perret, diffusent, à travers les claustras de béton, une lumière aux tons qualifiés de "bois mort rouge sombre au nord, violacés à l'est, chauds au midi, etc., et plus foncés à la base qu'au sommet".
Photographie de Mathieu Dessus. http://www.flickr.com/photos/mathieudessus/470422837
Le campanile situé au sommet de la tour, oeuvre de Raymond Audigier, a été mis en place après le décès d'Auguste Perret, survenu au cours du chantier, en février 1954.
Sur la base des principes énoncés un peu plus haut, Auguste Perret proposa plusieurs projets avant d'aboutir au projet final. En voici quelques uns :
Perspective, n. d., 535 AP 86/4, n° CNAM 51.4.66.
Elévation, 25 juin 1951, 535 AP 86/4, n° CNAM 51.4.64.
Elévation, 24 septembre 1951, 535 AP 95.
Elévation, 2 juin 1954, 535 AP 86/4, n° CNAM 51.4.68.
Une fois le projet définitivement validé, le chantier pouvait être lancé. Il le fut le 21 octobre 1951.
Pose de la première pierre, Le Havre, ses églises, photographie Gilbert Fernez.
Sur la photographie ci-dessus, prise le 21 octobre 1951, à 15 heures, on voit Monseigneur Martin, archevêque de Rouen, qui après avoir tracé au couteau une croix sur la pierre symbolique, y introduit le parchemin. Ensuite, entouré d'Auguste Perret de de Raymond Audigier, il ajoute les médailles de la Vierge, de Saint-Joseph et du Pape Pie XII, ainsi que deux pièces de monnaie de vingt et dix francs au millésime de l'année, avant de procéder à son scellement.
L'église en construction, Voici Le Havre de 1944 à 1963, photographie Gilbert Fernez.
L'église en construction, 535 AP 661/2. (Cliché Fernez)
Photographie publiée par Pierre Bruger sur le forum du GGHSM. (Cliché Gilbert Fernez)
Photographie publiée par Pierre Bruger sur le forum du GGHSM. (Cliché Gilbert Fernez)
Il fut achevé fin 1956. La nouvelle église Saint-Joseph fut inaugurée en juin 1957 et consacrée en 1964. Elle sera protégée un an plus tard le 11 octobre 1965, au titre de la loi sur les monuments historiques, montrant par là même que cette église fut sans aucun doute une des constructions les moins controversées d'Auguste Perret.
La Tour de l'église Saint-Joseph, Voici Le Havre de 1944 à 1963, photographie Gilbert Fernez.
Photographie extraite du site http://www.architectonique.com/spip.php?article25
L'avenue Foch et l'église Saint-Joseph, après 1956, 535 AP 661/1.
Sources :
- Voici Le Havre de 1944 à 1963, Editions René Gobled, Le Havre, 1963.
- Le Havre, ses églises, Gilbert Décultot, Compo Photo Le Havre, 1992.
- Les frères Perret, L'oeuvre complète, Institut Français d'architecture, Editions Norma, Paris 2000. (Tous les illustrations, sauf mentions contraires sous les photographies concernées sont tirées de cet ouvrage, pp. 155, 305, 321-324).
- Témoignage de Georges Adigier, fils de Raymond Audigier.
- Article Wikipédia, l'église Saint-Joseph du Havre.