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Le Havre d'avant... ou l'histoire en photo de la ville du Havre et des Havrais avant la guerre...
4 septembre 2008

Au Havre pendant le Siège (5/14)

Suite du récit de Pierre Courant, maire du Havre pendant l'Occupation...

Le début de cette série d'articles se trouve ici : Au Havre pendant le siège, avant-propos.

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Les journées tragiques

Siège et bombardements

Lundi 4 Septembre 1944

L'investissement est total.

M. Garnier, architecte municipal, a cependant pu rentrer de Bolbec, où il a été voir sa famille. Bolbec a été libéré par les F. F. I., et un général canadien aurait dit au maire, M. Ferric, que la forêt de Montgeon et ses abords allaient être bombardés de façon terrible aujourd'hui lundi. De divers côtés la nouvelle court la ville. Les habitants du Haut-Graville et d'Aplemont descendent en grand nombre passer la nuit dans les abris de la basse ville. La soirée se terminera cependant sans bombardement.

Je remets à un représentant de la Résistance la liste des dépôts de vivres avec l'indication des emplacements exacts, afin que les F. F. I. puissent s'en emparer dès la délivrance et en empêcher la destruction par les Allemands.

L'après-midi, le Conseil municipal se réunit, vraisemblablement pour la dernière fois. J'adresse quelques paroles de remerciements à mes collègues qui m'ont aidé dans la rude tâche commune.

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Voici la Déclaration que fit Pierre Courant, maire du Havre, au Conseil Municipal, lors de la séance du 4 Septembre 1944:

Mes chers collègues,

En septembre 1941, nous avons accepté de consacrer toutes nos forces à servir la Ville, alors qu'elle était encore dévorée par les incendies et que la disette y régnait malgré la richesse du pays normand.

Trois ans ont passé. De graves événements se sont produits, qui nous ouvrent l'espérance d'une fin prochaine et il est probable que cette séance sera la dernière.

Je ne veux pas la clore sans vous avoir remerciés de la fidélité et de la compréhension dont vous m'avez donné tant de preuves.

Il m'est agréable de constater, fait presque unique, que depuis trois ans, le Conseil Municipal du Havre a pu se mettre d'accord sur toutes les questions que j'ai soumises à vos délibérations, et que tous vos votes ont été acquis à l'unanimité des membres présents.

Ce n'est pas le moment de dresser un bilan. Pourtant, j'ai le devoir d'évoquer les traits essentiels de notre action commune, poursuivie avec le seul souci des intérêts supérieurs de la Ville et inspirée de cet esprit d'équipe sans lequel il est bien difficile d'obtenir des résultats féconds.

Nous avons trouvé Le Havre privé de ravitaillement, à peu près dépourvu d'abris. Malgré les efforts de mon excellent prédécesseur, M. Risson, qui est mort à la tâche, les sinistrés n'avaient pu être secourus et les enfants se trouvaient dans des conditions pitoyables.

Nous n'avons pas ménagé notre peine. Ne pouvant obtenir du Gouvernement ni ciment ni fer, nous avons fait creuser dans la falaise d'immenses refuges souterrains et, voulant préparer l'après-guerre, nous avons établi l'un d'eux de telle façon qu'il sera bientôt, nous l'espérons, le double tunnel routier unissant la basse ville au plateau et l'établissement des liaisons faciles entre les deux parties de la Cité.

Nous avons méthodiquement placé les enfants à la campagne, obtenu des secours pour les sinistrés, et, malgré les défaillances et les incompréhensions que nous rencontrions souvent, nous avons pu être à l'origine d'un grand mouvement de soutien en leur faveur, mouvement qui a été rendu plus efficace encore par la création de l'Association des Maires de la zone côtière qui, dès le début, a fait de moi son président.

Nous avons visité et secouru nos réfugiés dans les départements d'accueil, obtenu des suppléments de ravitaillement, et il n'a pas dépendu de nous que leur sort fût encore meilleur.

Constatant l'inefficacité des méthodes centralisatrices gouvernementales, nous sommes sans cesse intervenus localement pour améliorer le ravitaillement en liant contact avec les producteurs et les professionnels. Nous nous sommes surtout préoccupés du ravitaillement des humbles, de ceux qui ne pouvaient payer les prix élevés. Vous avez connu le très beau succès de notre restaurant municipal d'entr'aide et des cantines que nous avons soutenues, notamment des cantines scolaires dues à l'admirable effort des maîtres de l'enseignement.

Pour financer tout cela, il fallait de l'argent, beaucoup d'argent. Nous nous sommes catégoriquement refusés à augmenter le fardeau des centimes additionnels prélevés par la Ville, et depuis trois ans, c'est l'Etat qui a comblé le déficit du budget du Havre. Malgré la suppression des octrois réalisée l'an dernier, la dette de la Ville, loin de s'alourdir, s'est réduite pendant notre administration.

Mais tout cela, si utile que ce soit, n'est que l'aspect matériel du problème. Nous avons vu plus haut. Nous avons voulu, dans une période difficile, maintenir très haut le moral havrais et la dignité havraise.

Je ne parlerai pas de l'occupant. Le moment n'est pas venu encore, mais la population est dès maintenant édifiée. Elle a compris et elle a jugé.

Vis-à-vis du gouvernement, ou plutôt des Gouvernements qui se sont succédé, nous nous sommes enfermés dans une attitude fière et surtout intransigeante. Ne tenant pas à nos fonctions, n'y trouvant aucun profit si ce n'est l'âpre satisfaction de nous sentir utiles, nous avons souvent offert de partir plutôt que de remplir certaines missions qui nous déplaisaient. Ces missions nous ont été épargnées, et c'est seulement pour cette raison que nous avons poursuivi notre action. Ai-je besoin de vous rappeler qu'un Préfet, homme d'esprit, a excellemment caractérisé notre position en nous appelant les "Onze dogues de la République marchande du Havre" ? Oui, de la République marchande du Havre, car pendant cette période d'autoritarisme, nous sommes restés attachés à nos idées républicaines qui nous sont chères. Nous avons également voulu maintenir au Havre autant de liberté qu'il était possible, et nous n'avons jamais caché notre refus de nous solidariser avec ceux qui appelaient à la persécution. Nos actes positifs sont nombreux. Ils répondent pour nous.

Mes chers Collègues, nous avons fait ensemble une rude tâche. Elle comporte encore des risques ; peut-être les plus grands périls sont-ils devant nous. Peut-être, au nom même de ces idées de république et de liberté que nous avons défendues quand elles étaient partout attaquées, voudra-t-on un jour nous frapper ? Une seule chose importe : notre Patrie. C'est à elle que vont toutes nos pensées et à notre chère Ville du Havre, qui en est l'une des plus précieuses fractions. Quand bien même de tels événements devraient arriver, nous n'aurions encore dans nos poitrines qu'un seul sentiment : le bonheur de voir sauter la terre de nos ancêtres, de pouvoir espérer le prochain renouveau de la liberté dans notre chère France.

On a souvent vanté la propreté de nos rues rétablie après les bombardements et la beauté de nos fleurs, preuve du moral élevé de la Ville. Je crois que jamais ce moral n'a été aussi haut, et quelles que soient nos épreuves, je vous demande de dire avec moi :

               Vive Le Havre,

               Vive la République et les Liberté,

et surtout, Messieurs, Vive la France ! (vifs applaudissements).

M. Brichet, doyen d'âge, demande la parole et félicité l'administration Municipales de sa gestion. Sur sa proposition, le Conseil vote à l'unanimité des membres présents l'insertion de la déclaration du Maire dans le bulletin des actes municipaux.

Etaient présents : MM. Abadie, Bérard, Bézin, Biette, Brichet, Courant, Deschaseaux, Bavent, Audrain, Coat, Léchelle, Delmotte, Marion, Patrimonio et Voisin.

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Commentaires
P
c'est quand même fort cette détermination qu'avait ces HOMMES à gérer les situations malgré l'occupation...on a tendance à oublier...merci de nous le rappeler !!! (et 5/14...j'attend la suite !!!)
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