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Le Havre d'avant... ou l'histoire en photo de la ville du Havre et des Havrais avant la guerre...
20 septembre 2008

Au Havre pendant le Siège (14/14)

Suite et fin du récit de Pierre Courant, maire du Havre pendant l'Occupation...

Le début de cette série d'articles se trouve ici : Au Havre pendant le siège, avant-propos.

******************************
Novembre 1944

Deux mois ont passé depuis le siège et, depuis huit semaines, la ville est libérée de la présence des Allemands. On ne les voit plus dans nos rues et sur nos boulevards, et à leur place cantonnent des soldats alliés ou français, noirs ou blancs.

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Mais la souffrance n'est point finie et les Havrais réalisent peut-être mieux leur immense infortune.

Sans doute la vie reprend peu à peu, l'électricité est presque partout revenue, l'eau réapparaît dans quelques quartiers, mais les misères morales et matérielles sont infinies.

Il n'y a pas encore de vitres pour Le Havre, pas de ciment, pas d'ardoises et en attendant qu'arrivent ces matériaux précieux et des baraquements provisoires, les victimes des bombardements, à leur sortie de l'hôpital, couchent encore dans les abris sous la terre et voient avec peine s'anéantir ce qui reste de leurs maisons.

Ici, c'est une famille décimée, un fils qui a retrouvé, dans une cave inaccessible mais intacte les cadavres de ses parents asphyxiés ; là, ce sont de vieilles gens seuls au monde qui ont tout perdu, maison et objets familiers et regrettent de n'avoir péri avec le foyer qu'ils désespèrent de reconstruire jamais. Partout ce sont de pauvres êtres dont la vie est difficile et qui ne retrouvent plus rien de ses conditions passées.

Misère des villes détruites, misère des sinistrés, misère des infortunées cités côtières dont je me suis fait l'avocat pendant trois années et qui, presque toutes, sont en ruines, misère des humbles, misère des nouveaux pauvres qui sont en si grand nombre, misère des citoyens qui ont perdu avec leur ville le cadre où s'est passée leur enfance et qui ne voient plus autour d'eux qu'un immense faubourg sans unité et sans grâce !

Chaque fois qu'il faut traverser le champ de ruines, une profonde tristesse nous étreint le coeur à la vue de cette étendue désolée sur laquelle tombe la pluie et souffle le grand vent du large.

Les choses aussi ont leurs larmes.

Sunt lacrymae rerum...

Notre Cité n'était pas un ville d'art célèbre, elle ne possédait pas un trésor de vieilles cathédrales ou des monuments civils précieux mais ses quartiers maritimes et même ses bouges avaient leur charme ; le centre, vieux d'un siècle à peine, avait été conçu large et grand par ses créateurs de 1855 et ses pierres avaient déjà pris la patine du temps.

Et puis, c'était notre Ville, celle où nous étions nés, où nous avions vécu, connu les joies et les douleurs, et nous avions pour elle une grande tendresse...

La libération de la patrie exige des sacrifices, sacrifice des hommes, sacrifice des villes chères à leurs coeurs.

Mais un jour elle sera reconstruite, elle aura des voies plus larges et plus belles, et ses jardins seront de nouveau fleuris.

Il y a un siècle, le grand Balzac, voulant écrire le roman d'une jeune fille courageuse qui résiste à l'infortune et par sa valeur parvient à ramener le bonheur chez les siens (une soeur plus naïve de la Lise des Hauts-Ponts), lui donnait pour cadre Le Havre, parce qu'ayant visité cette cité, il avait été frappé d'y rencontrer plus qu'ailleurs le courage, l'esprit d'entreprise et la résistance au malheur.

C'est l'histoire de Modeste Mignon que vivra Le Havre si ses enfants restent doués des mêmes qualités et de la même audace.

Pendant une après-midi ensoleillée d'avril 1933, j'ai parcouru à pied l'étendue déserte où existait jadis l'antique Syracuse, le grand port par lequel le monde grec commerçait avec l'Occident. Plus un mur, plus une pierre ne rappelaient l'existence de la vieille cité, si ce n'est les débris de la forteresse d'Archimède les Epipoles qui dominaient la ville, comme l'indique leur nom. Sur les lieux où plusieurs centaines de milliers de personnes avaient vécu, il n'existait plus qu'un immense champ d'herbes. A quelques kilomètres de distance, une petite ville moderne occupait la place d'un faubourg, auprès de la fontaine d'Aréthuse, mais la Syracuse des Anciens était définitivement morte avec la Grèce Antique.

Les Héllènes, après avoir donné au monde leurs savants, leurs poètes, leur énergie créatrice et leurs institutions libres, avaient laissé tomber le flambeau et leur grand port de l'Ouest n'était plus qu'un nom dans l'histoire.

Avec les signes matériels de la prospérité avait péri l'âme de la cité.

Les villes détruites peuvent donc mourir, mais elles peuvent aussi revivre lorsque leur âme demeure. Chacun ici s'efforce impatiemment de reconstruire son foyer, son outil de travail et proteste contre les entraves qui retardent son relèvement.

Comme la montée de la sève et l'éclatement des premiers bourgeons montrent le nouveau printemps des arbres, bientôt, dès que Le Havre aura reçu l'appui que son énergie et son utilité lui donnent droit d'attendre, les signes annonciateurs d'une nouvelle jeunesse apparaîtront sur le champ de ruines.

Beaucoup ne verront pas la totale résurrection mais elle viendra et ceux-là mêmes qui n'ont pas l'espoir d'en être les témoins en seront les premiers artisans.

Une ville ne meurt vraiment pour toujours que lorsque le courage l'abandonne.

Le courage ici ne manquera pas.

La photographie de cet article est extraite de l'ouvrage de Jean-Paul et Jean-Claude DUBOSQ : Le Havre 1940-1944, cinq années d'occupation en images, éditions Bertout, Luneray, 1995, 1998.


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Commentaires
P
contrairement à hier, je vais dire quelque mots: merci Damien de nous avoir fait revivre ces instants. Surtout pour les jeunes qui n'ont pas trop idée de ce que cela fut. Certains vont dire qu'on ne vit pas avec le passé...mais il y a des choses difficiles à oublier...et ce n'est pas si loin !!!
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