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Le Havre d'avant... ou l'histoire en photo de la ville du Havre et des Havrais avant la guerre...
16 janvier 2009

Un an déjà...

Il y a un an jour pour jour, à la minute près, je publiai mon premier article sur ce blog...

Depuis 171 autres articles ont été publiés... 24381 visiteurs sont venus me rendre visite pour un total de 49686 pages parcourues, ce qui fait une moyenne sur l'année de 66 lecteurs quotidiens...

Un peu d'autosatisfaction n'ayant jamais fait de mal à personne, je dois dire que je suis assez content du résultat et surtout des nombreux échanges et rencontres que ce blog m'a permis de faire. Le rythme de publications des articles sera sans doute un peu moins soutenu cette année, non pas par désintéressement du blog, mais par manque de temps. Parallèlement, je suis parti sur d'autres projets que je voudrais aussi voir évoluer... et depuis le temps que je me dis qu'il me faudrait au moins 36 heures dans une journée...

Bon, finie cette introduction nombriliste, place maintenant en l'article en lui-même...

Régulièrement, on me pose cette question : pourquoi avoir ainsi nommé ce blog "Avant le naufrage..." ? Le titre du blog n'est pas là par hasard, et il a une histoire... Ce titre m'a été inspiré par une excellente nouvelle, découverte peu avant la création du blog, primée au concours de nouvelles 2006 des Ancres Noires, et écrite par Tiphaine. Ce récit, émouvant, montrait bien que la seconde guerre mondiale et ses bombardements avait été perçue par bon nombre de Havrais comme une rupture d'avec le passé, un passé que l'on ne retrouvera plus dans un présent qui ne sera jamais comme avant. C'était aussi une façon de rendre hommage à tous celles et ceux, internautes, blogueurs, anonymes pour la plupart, qui par leurs photos, leurs témoignages, leurs écrits, racontaient la diversité et la beauté du Havre, aujourd'hui comme hier.

 

    Comme je le disais il y a un an : Bonne lecture et au plaisir de vous voir faire un tour régulièrement sur le blog. Je vous laisse avec la nouvelle de Tiphaine, publiée avec son autorisation.

Avant le naufrage

Gaspard Pacraud se tient debout sur le seuil de sa maison. Du coin de l’œil, il observe s’éloigner le dos de l’agent immobilier qui vient de lui rendre une courtoise visite pour la troisième fois depuis un mois. Gaspard le sait bien, derrière les lunettes en écailles, le petit attaché case et le sourire de façade se cache un requin de la pire espèce. Et ces requins là, il les connaît bien, Gaspard…

Dans la rue du Maréchal Gallieni, un couple de japonais s’arrête soudain en extase devant Gaspard. Gaspard et son éternel pantalon de velours noir, Gaspard et ses chemises à carreaux, Gaspard et sa casquette d’ouvrier… Bientôt ils vont organiser des circuits touristiques rien que pour voir ma bobine… Il leur claque la porte au nez et se réfugie dans son île.

*****

- Monsieur Pacraud, soyez raisonnable, ça ne peut plus durer… Nous vous avons fait des propositions plus qu’honnêtes et vous vous obstinez à refuser nos offres, les unes après les autres… Faites un effort, vous ne pouvez pas aller contre le progrès, un homme moderne comme vous, soucieux du bonheur de ses concitoyens…

- Cons de citoyens, c’est exactement ça… Je ne cèderai pas, inutile d’insister.

- Imaginez tout ce que vous allez faire avec cet argent monsieur Pacraud… Vous ne la voyez pas, votre jolie villa à la campagne, avec la pelouse toute verte et les cerisiers en fleurs ? Pensez à tout ce calme, cette verdure ! Ne serait-ce pas merveilleux de quitter la rue Gallieni et tout son vacarme pour un quartier plus tranquille ?

- Combien de fois faudra-t-il que je vous le répète ! J’en ai rien à cirer du calme ! Le calme, c’est la mort ! J’suis bien vivant moi, et j’en veux pas de ta tombe sur mesure !

- Bien… Monsieur Pacraud, je vais devoir vous laisser mais je voudrais que vous réfléchissiez à ma proposition, à tête reposée. Pesez bien le pour et le contre. Voici ma carte : en cas de doutes, de questions, n’hésitez pas à m’appeler, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ! A très bientôt Monsieur Pacraud ! Portez-vous bien !

*****

Soixante ans que j’habite ici, soixante ans que je traîne ma carcasse entre ces quatre rues… Le carré magique : rues Gallieni, Lafayette, Caplet et Thiers… Enfin, maintenant on ne dit plus Thiers, paraît-il, on dit Avenue René Coty… J’ai vu la plaque, toute neuve… Qu’est-ce qu’ils ont tous avec ce René Coty ? Ils n’ont que ce nom là à la bouche ! Comme si les hommes politiques avaient pu faire quelque chose pour cette ville… Le Havre, c’est moi qui l’ai faite, je sais de quoi je parle…

Personne ne sait plus ce que c’était Le Havre. Le Havre avant le saccage, Le Havre avant les bombardements… Je me souviens du cinéma REX, juste à côté… Nous y avions vu Piaf, Bourvil, Fernandel… Maintenant il y a ce truc à la place… ils y vendent des téléviseurs… Le Havre avant le naufrage…

*****

Gaspard descend à la cave. Pour la première fois depuis cinquante-deux longues années, il pousse la petite porte en bois… Les souvenirs jusqu’ici refoulés reviennent en force…

1941… fin août… les bombardements, encore… rue Thiers, le Printemps, ce grand magasin qu’on appelait "à la boule d’or ", anéanti, la bijouterie Milliaud, pulvérisée, la façade du Rex, éventrée… Et puis, trois ans plus tard, début septembre, dix jours dont le souvenir l’épouvante encore… Le sourire figé d’Angèle et les yeux de Frantz…

Angèle… Elle avait 21 ans, Gaspard en avait 24… Pendant trois ans, elle l’avait attendu tous les soirs, à la sortie du lycée de garçons où un certain professeur de Philosophie, Jean-Paul Sartre, avait bouleversé la façon de penser du jeune homme et avait rapproché les futurs amants en les incitant par son enseignement à l’engagement et à la révolte. Elle voulait tout savoir, elle était tellement avide d’apprendre. Angèle était ouvrière et avait quitté l’école trop tôt. Ses parents n’estimaient pas nécessaire qu’elle continue ses études malgré ses excellents résultats et les encouragements de ses enseignants. Alors chaque soir, elle attendait Gaspard après son travail et elle lui demandait de tout raconter. Et Gaspard racontait… Et Gaspard prenait son temps, toujours, pour le plaisir de se promener aux bras d’Angèle… Angèle pour lui seul, le long du boulevard Maritime où ils s’attardaient souvent à observer le manège des navires et des paquebots rutilants, chargés de lumière, entrant et sortant du port. Angèle et ses yeux tirant sur le violet, Angèle et ses mèches brunes dans le vent, Angèle qui portait si bien son prénom…

Gaspard voudrait avoir oublié mais il n’arrive pas à empêcher son passé de remonter à la surface. Il revoit leurs premiers baisers, sur les bancs du square Saint Roch, leur première nuit d’amour dans cette chambre du prestigieux hôtel Frascati… Il avait dépensé toutes ses économies pour éblouir son amour mais Dieu que cette nuit avait été belle, probablement la plus belle de toutes. Des fenêtres de leur chambre, ils avaient vu le paquebot Normandie faire son entrée lumineuse dans le port sous les yeux admiratifs de la foule havraise. Puis toute la nuit, le bruit des vagues, comme un refrain si doux à leurs oreilles amoureuses.

Et puis la guerre.

Angèle avait tout de suite voulu s’engager, résister. Il ne voulait pas, il refusait de toutes ses forces, il avait trop peur de la perdre. Il aurait voulu l’enfermer dans un abri, l’emmener loin des combats, des coups de feu et des bombes. Il avait pourtant dû accepter sa présence aux réunions clandestines du réseau Vagabond bien-aimé, et quand leur chef, Gérard Morpain, un ancien professeur de Gaspard, avait été arrêté sur dénonciation par la Gestapo puis condamné et fusillé, ils avaient poursuivi la résistance dans un nouveau groupe. Au début, ils avaient simplement imprimé et distribué des tracts ou encore collé des affiches la nuit mais, peu à peu, ils s’étaient vu confier des missions plus importantes, malgré leur extrême jeunesse. C’est ainsi qu’ils avaient finalement pris les armes, de vraies armes qui pouvaient vraiment tuer. Gaspard revoit encore la main blanche d’Angèle crispée sur une grenade, quelques instants avant qu’elle ne la lance avec force... Comme tout ceci lui paraît absurde maintenant, combien de morts inutiles, combien de blessures insoutenables, combien de vies à jamais souillées par la bêtise des hommes ?

Gaspard referme la porte de la cave. Il n’entrera pas dans la pièce. Pas aujourd’hui. Il ne le peut pas.

*****

- Bonjour Monsieur Pacraud ! Comment allez-vous aujourd’hui ? Le temps est magnifique n’est-ce pas pour un mois de septembre ?

- Mais quand est-ce que vous allez me foutre la paix ? Vous n’avez donc toujours pas compris que je ne veux pas vendre ma maison ?

- Ecoutez, je vous ai amené là une petite plaquette très bien faite qui devrait vous intéresser. Voyez par vous-même !

Gaspard a devant les yeux les plans d’un grand centre commercial dont la surface tient exactement entre les quatre rues de son carré magique. Il lit le dépliant publicitaire : "Centre commercial de centre-ville, d'une surface de 27.000 m2, l'Espace Coty comportera un parking public de 900 places en prise directe avec les flux routiers conduisant au centre-ville. Il sera situé idéalement sur le cheminement piétonnier le plus important, à proximité de l'Hôtel de Ville. L’espace Coty proposera sur trois niveaux au travers de ses 80 boutiques, une proposition de prêt à porter tant féminin, masculin, qu’enfant, de la Décoration et du Cadeau, de la culture et du loisir, de la bijouterie, de la maroquinerie, de l'Hygiène et beauté ainsi que des services d'alimentation et de restauration ". Gaspard blêmit.

- Monsieur, pour la dernière fois, je vis ici depuis bientôt soixante ans. Savez-vous que c’est une des seules du quartier à avoir survécu à tous ces bombardements ? Toujours debout, comme le vieux Gaspard hélas… Cette maison est tout ce qu’il me reste, vous ne pourrez pas me l’enlever. C’est inutile d’insister, je ne peux pas changer d’avis.

- Monsieur Pacraud… j’ai bien peur que vous n’ayez pas vraiment le choix. Nous avons tenté un arrangement à l’amiable et nos propositions ont été plus que généreuses. Si vous vous obstinez comme vous le faites, il faut que vous sachiez que nous sommes en droit de vous exproprier. Vous ne souhaitez probablement pas que nous en arrivions à de telles extrémités, monsieur Pacraud, vous êtes un homme intelligent n’est-ce pas ?

L’agent immobilier sort précipitamment de la maison de la rue Gallieni, les lunettes brisées et la chemise en lambeaux. Derrière sa fenêtre, Gaspard regarde avec rage le requin fendre les flots pour rejoindre le reste de sa meute.

*****

Gaspard met de l’ordre dans sa maison, de l’ordre dans ses souvenirs. D’ici quelques jours, quelques heures ?, il sait que les requins arriveront et qu’ils ne feront pas de quartier. Rien n’a d’importance, finalement, à part les lettres et les photos. Il les jette au fur et à mesure dans une bassine en fer. Avant le naufrage… Angèle sagement assise dans le tramway, Angèle avec ses jolies chaussures vernies, achetées avec sa première paye, chez "Pottier ", Angèle devant l’église Saint Michel avec son bouquet de mariée, Angèle faisant la grimace à côté d’une affiche du magasin "chez Boka- Au gaspillage "… Gaspard regarde chaque morceau du puzzle de la vie d’Angèle passer entre ses mains et il a peur de ne pas y arriver. Il aurait dû détruire les photos, bien avant. Au milieu des sourires d’Angèle, une photo de Gaspard aux côtés de Youri Gagarine. Il se souvient avec amertume de cette journée de 1965. Des officiels avaient frappé à sa porte et, sous les yeux des photographes, il avait dû jouer le jeu convenu du héros de la reconstruction qui accueille celui de l’espace. Il repense aux articles de journaux que sa mère avait précieusement conservés dans un album.

Quarante ans à reconstruire, sans relâche… Gaspard était destiné à devenir médecin, la guerre en avait décidé autrement, avait décidé pour lui. Gaspard revoit la ville au soir du 12 septembre 1944 : un amas de ruines fumantes, un visage défiguré et méconnaissable. Les gens hagards, devant le fantôme de leur ville, ne comprenant pas. Cette question, martelée à chaque pas : " Pourquoi ? ". Comme si la mer avait attaqué le port, comme si une vague avait tout balayé sur son passage. Au cœur du Havre, au milieu de cette plaine noire et quasi nue, Gaspard, hébété, VOYAIT LA MER ! Il n’en était séparé désormais que par une plage d’obus, de mines, de poussières de maisons, de morceaux d’hommes et de femmes, de reliefs dérisoires d’une vie révolue.

La guerre avait décidé pour lui et Gaspard avait passé le reste de sa vie à bâtir des immeubles, à donner un nouveau visage à son amante martyrisée, à la remettre debout, à la remettre à flots.

Comme une pierre lancée dans l’eau, ricochets sur la porte d’entrée. Gaspard jette une allumette enflammée dans la bassine et regarde ses souvenirs se consumer. Il sait que la maison va bientôt couler et qu’il ne sera pas seul lorsque le bâtiment sombrera.

Comme tu étais belle Angèle ! Nous t’admirions, nous te vénérions comme la plus brave et la plus courageuse d’entre nous ! Mais tu étais à moi, tu parcourais la ville à mon bras et tous savaient que tu étais ma fiancée, ma promise et pas un n’aurait osé te soustraire à mon amour. Résistants et frères jusqu’au bout, à la vie à la mort. Mais Frantz n’était pas un résistant…

Ils t’ont cherchée Angèle, longtemps ils ont espéré que tu reviendrais. Ils ne t’ont pas trouvée. Alors ils t’ont pleurée. Puis ils sont venus, les survivants et les officiels aussi, me présenter leurs condoléances lors de cette cérémonie très digne d’après la guerre, d’après le naufrage. Quelques lignes à ta gloire dans les journaux, une plaque avec ton nom square Saint Roch… Angèle… Aujourd’hui il ne reste que ton nom, symbole d’une jeunesse qui ne voulait pas baisser la tête, symbole d’une ville qui ne voulait pas mourir écrasée.

*****

Gaspard descend le vieil escalier en bois, une dernière fois. Comme un immense voile de mariée, l’essence suit chacun de ses pas. Il entend vaguement le bruit de la mer des hommes puis plus rien. Gaspard est entré dans la cave, il s’allonge à même le sol. Maintenant, le bateau peut bien couler. Plus rien n’a d’importance désormais. Gaspard et Angèle, Angèle et Gaspard. Enfin réunis.

*****

Angèle, mon aimée, ma petite graine de cassis, mon colibri, ma vague indomptée… Pourquoi a-t-il fallu que tu rencontres cet allemand ? Pourquoi m’avoir trahi ? Pourquoi avoir abandonné ta famille, tes amis, tes frères d’armes ? Comment as-tu pu lui donner des noms, des lieux, des dates qui étaient pour nous autant de coups de couteau dans le dos ? J’aurais tant voulu n’avoir rien su, mon Angèle, j’ai enfoui cet ignoble secret à jamais, pour que nul ne sache que tu avais connu la faiblesse, la lâcheté. Et je revois ton sourire quand tu as compris que tu allais mourir et que je serai ton bourreau. Je savais que je t’avais retrouvée… Ton sourire, mon Angèle, beau, tellement beau, le sourire de notre première nuit d’amour, avant le naufrage.

Angèle, mon aimée, ma petite graine de cassis, mon colibri, ma vague indomptée…

*****

Gaspard craque une dernière allumette et sort de sa poche son vieux revolver. Le feu prend rapidement, monte avec avidité le long de l’escalier, s’attaque avec fureur aux murs jaunis, aux vieilles boiseries, aux meubles décrépis, aux souvenirs d’un autre temps.

Dans la rue Gallieni, les forces de l’ordre assistent impuissantes à la destruction de la maison. Demain, un grand centre commercial se tiendra à ce même endroit, et les gens viendront y chercher du rêve… Une carte postale ancienne du boulevard maritime dans un cadre doré, une reproduction d’affiche pour la compagnie des transatlantiques, un bateau en bouteille, un galet peint par un artiste local et représentant invariablement un paysage marin…

Demain, on aura oublié Gaspard et Angèle. On marchera sans le savoir sur leurs corps mêlés ou sur ceux d’autres témoins d’un temps auquel on ne veut plus penser. Le temps d’avant le naufrage…

***

Angèle, mon aimée, ma petite graine de cassis, mon colibri, ma vague indomptée…

*****


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Commentaires
P
Bon anniversaire !<br /> On a beau vivre dans cette ville depuis de nombreuses années, on en connait que la surface pour ne pas dire uniquement l'apparence ...<br /> Grâce à ton blog (et à d'autres ;-)) tu nous aides à en comprendre l'histoire et ces répercutions sur le Havre d'aujourd'hui... Bravo d'apporter autant de passion à nous faire partager ta soif d'apprendre !<br /> <br /> Philzoc
Y
Un bon anniversaire à ton blog ! Je découvre petit à petit l'histoire du Havre que je ne connaissais pas du tout. Merci donc et bonne continuation.
R
joyeux anniversaire alors ! ce n'est pas de tout repos d'avoir un blog ! lol il faut toujours chercher l'originalité ....<br /> Merci pour tous tes beaux reportages historiques ! Avec toi, on apprend tous les jours ! continue ainsi !
M
Le cap d'une année est passé..voici venir un second cap et à nouveau un visiteur assidu qui va encore et encore suivre.. ton histoire..!<br /> Merci Damien pour les richesses de tes "post" !<br /> Marco
P
Bon anniversaire à ce blog de grande qualité qui fait partie des tous premiers blogs que j'ai visité, et que je visite tous les jours !!!<br /> j'en ai appris des choses ici !!! Merci Damien pour le plaisir que tu nous donnes et pour ta gentillesse !!!<br /> ,o)
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