La motte féodale d'Aplemont
D'aucuns se sont peut-être demandés en passant rue Pablo Neruda pourquoi la ville avait fait refaire un mur qui ne soutenait plus rien et menaçait de s'écrouler sur la chaussée, et dans le même temps, pourquoi elle avait aménagé un petit parc à côté dudit mur...
Tout simplement, parce que derrière ce mur se cache un des plus anciens monuments du Havre, avec l'église romane de Graville. En effet, il s'agit d'une motte féodale édifiée au XIème siècle, appelée motte féodale d'Aplemont ou "Motte de la Vieille Tour".
A cette époque, Graville constituait un fief, c'est-à-dire une terre concédée à un vassal par son seigneur, le plus souvent en échange de services militaires. Dès la première moitié du XIème siècle, ce fief fut occupé par la famille Malet, fondatrice de la collégiale Sainte-Honorine, aujourd'hui connue sous le nom de "prieuré de Graville".
Le château des Malet, grande enceinte de terre et de bois, se trouvait dans le bas-graville, au pied de la collégiale. La motte d'Aplemont pourrait correspondre à un ouvrage de défense complémentaire permettant de surveiller la mer, l'estuaire et la Seine.
A l'origine, la motte s'élevait à 4 m de hauteur sur 35 m de large. Construite en bord de falaise, elle offrait un point de vue remarquable. Son sommet était bordé par un parapet de terre. Au nord, un profond fossé complétait le système de défense formé par l'abrupt de la falaise du sud.
En son centre, un édifice en bois avait été construit : il pourrait s'agir d'un logis seigneurial ou plus vraisemblablement d'une tour de guet (d'où le nom de "Vieille Tour" encore conservé de nos jours).
La motte d'Aplemont est un monument tout à fait exceptionnel. En effet, il est rarissime qu'une motte féodale subsiste en milieu urbain. Bien avant la fondation du Havre, elle témoigne de l'ancienneté des villages situés à la périphérie de la ville.
Les textes en italique et les illustrations sont ceux de la Ville du Havre situés sur les plaques explicatives du petit parc.
De manière plus générale, il faut savoir que les mottes féodales étaient des buttes de terre de quelques mètres de haut qui appartenaient au système défensif des petites forteresses de terre et de bois, refuges ou résidences permanentes de l'aristocratie militaire.
La Tapisserie de Bayeux, en illustrant notamment la construction de la motte d'Hastings, constitue une source précieuse de renseignements sur ces édifices.
Au cours des XIe et XIIe siècles, la multiplication des châteaux à mottes dans le duché de Normandie coïncide avec une succession de crises liées à l'affaiblissement temporaire de l'autorité publique.
Ces mottes féodales étaient donc tout autant des symboles de puissances que des systèmes défensifs. On constate d'ailleurs qu'une majorité d'entre elles, notamment dans l'Ouest de la France, ne présente aucune réelle valeur militaire. Leur situation en bordure des limites paroissiales témoigne de la volonté des seigneurs de créer leur propre pôle de pouvoir, distinct du pouvoir ecclésiastique symbolisé par l'église et son clocher.
Les mottes féodales ont de ce fait joué un rôle considérable dans la fixation de l'habitat et la formation des villages.
Aucune motte féodale n'est parvenue jusqu'à nous dans son état originel. Les constructions de bois ont disparu et la motte elle-même a parfois été rasée volontairement.
Aujourd'hui, au Havre, à la limite du Haut-Graville et d'Aplemont, nous trouvons donc cette motte féodale vieille de dix siècles, qui de sa position a vu la fondation du Havre en 1517 et son expansion pour devenir ce qu'il est aujourd'hui.