Le massacre des frères Raoulin
Il y a 409 ans, le mardi 16 mars 1599, trois frères, les frères Raoulin, officiers de l'armée, étaient mis à mort devant le Logis du Roy.
Cet événement qu'on qualifierait aujourd'hui d'affaire Raoulin fut pour Le Havre le dernier douloureux épisode des discordes sanglantes au cours desquelles la ville jouera les rôles les plus opposés dans la seconde moitié du XVIème siècle.
Pour mieux comprendre cette affaire, il convient de se remettre dans le contexte de l'époque où depuis quarante ans, des conflits religieux opposent en France catholiques et protestants. A ces troubles religieux se superposent des affrontements politiques pour conquérir un pouvoir royal affaibli. Henri II est mort accidentellement en 1559 et sa descendance est trop jeune pour régner. Finalement, tout se 'tasse' en 1598 lorsque Henri IV, fraîchement converti au catholiscisme, propose son édit de Nantes, qui vise à la pacification du conflit.
Seulement, si cet édit de pacification, acte d'une politique habile, est accueilli favorablement dans tout le royaume, il trouva des résistances dans le Parlement de Rouen. Les magistrats normands, obstinés, processifs et méticuleux, ne pouvaient pas admettre que le roi reconnût aux huguenots l'accessibilité à tous les emplois. Ils entretinrent ainsi les défiances et le malaise ambiant. Des moines fanatiques et des prêtres imprudents excitèrent alors la populace au Havre. Les protestants furent insultés, de là des collisions sanglantes. Georges Brancas, duc de Villars, marquis de Graville, et chevalier d'Oise, est à ce moment gouverneur de la ville. Il entreprit de réprimer ces désordres à main armée, et il y parvint promptement. C'est à ce moment que se passa l'affaire Raoulin.
Ces trois frères, officiers dans l'armée, fils d'un avocat estimé et populaire de la ville, Claude Raoulin, appelés chez le gouverneur, y furent mis à mort le 16 mars 1599.
On ne sait pas trop la raison de ce triple meurtre, véritable massacre sur la place publique...
La version qui domine, c'est que ces jeunes gens auraient été sacrifiés au courroux d'un mari trompé, mais rien n'est moins certain.
L'enquête ouverte ne fournit pas cette preuve. Ce qu'on peut affirmer, c'est que ces jeunes gens étaient restés ligueurs, qu'ils jouissaient d'une grande popularité, et que cette popularité offusquait le gouverneur et peut-être les magistrats de la ville. Les ligueurs offraient dans leur grande majorité une résistance acharnée à Henri IV, roi légitime, mais jugé huguenot. Ils lui préféraient son oncle, le cardinal Charles de Bourbon, considérant leur roi comme hérétique.
Quoi qu'il en soit, quel qu'ait été leur rôle, gouverneur et magistrats ne furent sans doute pas fâchés de se voir débarassés de gens qui pouvaient créer de réels périls dans la cité.
Il n'y eut que l'église qui protesta : elle considéra les Raoulin comme des martyrs de sa propre cause et les enterra à Notre-Dame où l'on voit leur épitaphe.
Si cette mort, enveloppée de mystères, fut promptement entourée d'une légende qui fait apparaître ces trois jeunes officiers comme des victimes intéressantes que la trahison a livré à leurs assassins, on est néanmoins autorisé à croire qu'ils comparurent en accusés devant un tribunal.
Après cet événement, comme dit plus haut, les conflits religieux disparurent quelque peu au Havre. La liberté relative des cultes, résultat d'une lutte de 30 ans, fut subie plutôt qu'acceptée : les calvinistes n'eurent pas la France protestante qu'ils avaient rêvée, et les catholiques ne virent pas disparaître le protestantisme qu'ils voulaient supprimer.
Source : Histoire populaire de la ville du Havre, T. Garsault, 1893.
Voir aussi cet article : le massacre des frères Raoulin (suite).