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Le Havre d'avant... ou l'histoire en photo de la ville du Havre et des Havrais avant la guerre...
20 février 2008

La fin du Café du Vieux Havre, ou le Vieux Havre qui s'écroule...

On a évoqué hier un article de la presse locale daté de 1938 qui s'inquiétait de ce Vieux Havre qui disparaissait déjà peu à peu avant guerre. Un autre article du même auteur, toujours extrait du Petit Havre et daté du 3 février 1934, consulté aux Archives Municipales du Havre, nous donne un autre aperçu de ce Havre d'alors, plutôt moribond, et voué en partie à la déchéance...

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Le sort en est jeté. Dans un temps vraisemblablement très proche, l'immeuble portant les numéros 27 et 29 du Quai Notre-Dame va être livré aux démolisseurs.

Quel est cet immeuble ?

Tout simplement l'une des plus anciennes maisons de notre ville, car elle fut vraisemblablement construite sur le bord de la crique qui allait devenir plus tard le bassin du Roy, et son édification doit remonter bien avant que François Ier ait, par son ordonnance, décidé de la construction de la Ville Françoise.

Nous voulons, en effet, parler de ce bâtiment bizarre, mal proportionné, aux mansardes inégales, qui occupe l'angle du Quai Notre-Dame et de la rue Saint-Jacques.

Avec ses fenêtres dissemblables, ses étroites lucarnes disposées à la valdrague, ses toitures qui furent jadis couvertes de pavés plats auquel on a substitué l'ardoise en ces dernières années ; avec ses colombages apparents, ses anciens aissantages en lamelles de bois, le bâtiment présente un caractère si vétuste, si particulier, si singulier, qu'il a tenté le crayon habile de bien des dessinateurs comme nos concitoyens, MM. Lefaix et Constant, ou retenu l'appareil des touristes photographes.

Grâce à eux, le souvenir de cette bâtisse sera conservé, comme le fut celui de la maison du passeur, dans nos archives locales et notamment au Musée du Prieuré.

Comme nous le disions plus haut, cette maison est vraisemblablement antérieure à la création du Havre, car les personnes mal informées auraient tort de croire que Le Havre fut créé de toutes pièces sur un terrain absolument nu, encore inhabité.
Il suffit, pour se convaincre qu'il n'en était pas ainsi de se reporter à la charte de François Ier.

Celle-ci est ainsi libellée :

"Avons vouloir et intencion au long dud. port et havre de Grasse, faire construire et édiffier forteresse, et ville close, et laquelle afin qu'elle puisse estre peuplée et que en iceluy lieu se habituent gens de tous estaz, nous a semblé faire certaine exemption et affranchissment à tous ceux qui de présent y sont habituéz et que cy après il viendroit habiter et faire bastir en lad. ville..."

Donc, lors de la signature de la charte, il est déjà question de "tous ceux qui de present y sont habituéz".

Combien étaient-ils d'habitants en cette région ? De combien de logis disposaient-ils ? Il est assez malaisé de le dire. L'on trouve cependant dans l'Histoire de la Ville du Havre, de Borely, une "liste des habitants du Havre qui, en 1524, avaient acquis des places pour y bâtir, ou y avaient déjà des maisons". Ils étaient au nombre de 127, et, vraisemblablement, il y a dans cette liste, le nom de celui qui, à cette époque, était propriétaire de l'immeuble du quai Notre-Dame.

Le dernier propriétaire sera certainement la ville du Havre.

En effet, M. Léon Gustave Chevallier, employé de commerce, demeurant à Sainte-Adresse, rue d'Ignauval, n° 18, suivant acte reçu par Me Hasselmann, notaire au Havre, les 7 et 13 décembre 1933, a vendu à la Ville du Havre :

"Une Maison, située au Havre, quai Notre-Dame, n° 27 et 29, à l'angle de la rue Saint-Jacques, construite en colombage et couverte de tuiles plates, élevée de rez-de-chaussée, comprenant boutique à usage de café-débit avec caveau à la suite, premier étage comprenant cuisine, salle et deux cabinets contigus, deuxième étage avec même distribution, troisième étage, deux mansardes, grenier et cabinets d'aisances.

"Ladite maison est édifiée sur une terrain d'une superficie de 37 mq cadastré section H, n° 111."

Evidemment, les amateurs de pittoresque regretteront la disparition de cette bâtisse qui apparaît bien singulièrement construite et agencée avec ses appartements exigus, son escalier tortueux, et ses poutres saillantes, mais nul ne saurait logiquement penser à la conserver, en la restaurant. Tous est usé et vermoulu : les poutres fléchissent, les encadrements des fenêtres se rompent au passage des voitures et l'ensemble ne tient que par la force de l'habitude.

Un effondrement complet est à redouter. La situation est si critique que lorsque la ville a fait, il y a quelques années, l'achat de la maison du forgeron de marine M. Rostaing, rue Saint-Jacques, qui n'était plus en état d'être habitée, il fallut renoncer à l'abattre. Ses assemblages de bois soutenaient et soutiennent encore la maison contiguë. En les enlevant on eut provoqué la chute de sa voisine. Il était prudent d'attendre, mais une telle situation ne pouvait s'éterniser sans compromettre la sécurité publique.

La maison est incontestablement appelée à disparaître.

                                                                        *    *    *
Comme on peut le remarquer, bien que depuis quelques années l'établissement de café-débit dont il est question dans l'acte de vente portât comme enseigne les mots "Amsterdam Bar", sur la façade du quai Notre-Dame, on peut lire sur celle de la rue Saint-Jacques les mots "Café du Vieux Havre". C'est en effet sous la désignation "Au Vieux Havre" que la maison était connue de temps immémorial. Rarement désignation ne fut plus justifiée.

L'immeuble est certainement âgé de près de cinq siècles. Dès son origine peut-être servait-il déjà de taverne, pour les équipages des bateaux de Fécamp, de Dieppe, de Saint-Valéry, qui venaient se réfugier dans la Grande Crique et qui, entre les époques de pêche, apportaient là du bois ou chargeaient des pommes et des fruits pour l'Angleterre. Sous son plafond bas, malgré deux décors peints en grisaille bleutée sur la muraille et représentant, l'un des bateaux de pêche dans le bassin voisin, l'autre la maison elle-même ; malgré un agencement quelque peu modernisé le café bar a gardé, en dépit de voisinages parfois fâcheux, une clientèle fidèle et une bonne tenue grâce à l'impulsion que lui a conservée son propriétaire M. Théophile Bacciochi, plus connu sous la dénomination du "père Théo".

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D'origine corse le père Théo est très connu des marins. C'est qu'il a lui-même beaucoup navigué, qu'il a bourlingué sur toutes les mers.

Après avoir voyagé comme matelot sur les voiliers de la maison Auger, le père Théo qui pratiquait couramment le hollandais, l'allemand et l'anglais était entré comme interprète pour les émigrants de 3ème classe sur les paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique. On le vit ainsi successivement sur 'La-Bretagne', 'La-Champagne', 'La-Gascogne' et 'La-Bourgogne'.

Mais celui qui est devenu le "père Théo" ne fut pas seulement connu des navigateurs, il eut aussi quelque célébrité jadis parmi la jeunesse qui fréquentait les petits cafés-concerts où l'on entendait des chanteuses plus ou moins bien dotées tout en buvant force bocks.

C'est que musicien, il tint les fonctions de chef d'orchestre, chez Jacobs, au fameux café chantant dénommé le "Star" et qui se trouvait au n° 37 de la rue du Général-Faidherbe. On le vit aussi comme pianiste au "Bijou Concert", petit établissement étroit qui exista longtemps rue de Paris, dans l'immeuble proche de la chapellerie Oswald et aussi dans l'un des derniers établissements de ce genre le "Concert Lavergne" où le père Théo remplaça son vieil ami Chancerel, qui, bon poète et compositeur primesautier, jouissait d'une réelle faveur populaire.

L'ancien interprète, l'ancien musicien est devenu à son tour tenancier d'un bar, mais si l'on y peut souper agréablement et s'y amuser en cordiale société, il est certain que le barman n'évoque pas sans joie ses souvenirs joyeux des temps lointains.

A. PETIT

Ainsi se lamentait-on de la disparition prochaine de cet établissement du Vieux Havre en 1934, même si sa fin semblait être inéluctable pour notre journaliste conteur. Demain, je vous présenterai d'autres photographies de ce haut lieu du Vieux Havre. Pour l'anecdote, il est à noter que cette expression du 'Vieux Havre' est utilisée dès la fondation du Havre pour désigner justement ces quelques bâtisses, déjà présentes avant la construction des remparts et de la ville en tant que telle.

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