Au Havre pendant le Siège (2/14)
Suite du récit de Pierre Courant, maire du Havre pendant l'Occupation...
Le début de cette série d'articles se trouve ici : Au Havre pendant le siège, avant-propos.
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Les préliminaires du siège
Vendredi 1er Septembre 1944
La Ville a pris ce matin un aspect nouveau. Beaucoup de Havrais ont exécuté l'ordre allemand obligeant la population à quitter le camp retranché avant mardi, mais la grande majorité refuse de partir. Une consigne a couru, recommandant de ne pas sortir de chez soi pour faire croire à l'ennemi que l'ordre était exécuté.
Ces jours derniers, le centre de la ville était complètement désert ; mais, ce matin, tout a changé. Les épiciers distribuent des vivres de réserve que nous donnons à la population pour qu'elle puisse subsister dans le cas d'un combat de rues. Les gens, sortis de chez eux, ne songent plus à la consigne donnée. Les "queues", à peu près disparues depuis trois ans, sont de nouveau longues et nombreuses, notamment boulevard de Strasbourg, près de l'Hôtel de Ville ; des fenêtres de la Kommandantur, les Allemands peuvent constater qu'il reste encore beaucoup de monde et, qu'une fois de plus, la population havraise en a fait qu'à sa tête. Ce matin, d'ailleurs, des affiches d'un groupe de résistants sont apparues, qui donnent l'ordre de ne pas sortir, la libération étant proche. Ces affiches répondent aux désirs des Havrais qui, se souvenant des souffrances causées par l'exode désordonné de 1940, veulent à tout prix rester et ne se rendent pas compte, malgré nos avis, que la situation actuelle est bien plus dangereuse.
Un incident est colporté en ville : le grand portrait d'Hitler qui ornait le grand salon de la Kommandantur gît depuis ce matin à terre, décroché, brisé et piétiné à coups de bottes, et aucun allemand ne songe à en faire disparaître les débris.
Mais dans la journée, un officier accompagné de soldats, mitraillette et grenade aux mains, s'est présenté à la Banque de France et, sous la menace, il s'est fait remettre presque toute l'encaisse de billets, trois cents millions de francs qui devaient permettre d'assurer les paiements pendant la durée du siège. Le directeur de la Banque a protesté auprès du commandant de la forteresse qui l'a éconduit. Il ne reste que vingt-cinq millions en petites coupures.
Le chef de la défense passive m'amène un de ses jeunes hommes, arrêté par la Gestapo il y a quelques jours, et dont le cas était inquiétant. Nous lui avions trouvé un alibi ; j'avais néanmoins peu d'espoir mais le désarroi est au camp de l'ennemi, et les Allemands commencent à craindre pour leurs personnes.
Les photographies sont extraites de l'ouvrage de Jean-Paul et Jean-Claude DUBOSQ : Le Havre 1940-1944, cinq années d'occupation en images, éditions Bertout, Luneray, 1995, 1998.