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Le Havre d'avant... ou l'histoire en photo de la ville du Havre et des Havrais avant la guerre...
11 septembre 2008

Au Havre pendant le Siège (12/14)

Suite du récit de Pierre Courant, maire du Havre pendant l'Occupation...

Le début de cette série d'articles se trouve ici : Au Havre pendant le siège, avant-propos.

******************************
La Libération

Lundi 11 Septembre 1944

Matin.

Près de sept mille personnes se sont réfugiées dans l'abri-tunnel côté Nord, partie haute de l'un de nos deux tunnels routiers. Les Allemands ont pris ce qu'il y avait de meilleur, la partie basse creusée dans la roche qui avait pu être aménagée dans des conditions excellentes. Ils n'en font d'ailleurs rien d'utile. Seule nous reste la galerie étroite creusée dans la terre d'alluvion, soutenue par des bois de mine, la plus basse et la plus humide.

On y trouve une pitoyable cohue, des familles avec des petites enfants, des infirmes qui malgré nos avertissements n'ont pas voulu partir, une fourmilière d'hommes et de femmes entassés les uns contre les autres. Il existe fort heureusement des puits d'aération, un réservoir d'eau, des "commodités", mais la situation est extrêmement pénible. La lumière manque. La ville est privée d'électricité, les accumulateurs de secours sont déchargés et le carburant fait défaut dans les lampes qui, au surplus, si elles étaient nombreuses, consommeraient l'oxygène de l'air, déjà fort raréfié. Il faudrait des désinfectants que la Préfecture n'a pu nous envoyer malgré nos démarches répétées.

Je préviens cette population de l'arrivée de plusieurs milliers de rations de soupe auprès de la sortie. On me remercie, mais vers onze heures quarante-cinq, quelqu'un se glisse près de moi et me dit que le plateau est bombardé et qu'on ne peut plus, sans danger, aller prendre les soupes.

J'active ma visite et, en sortant, je constate vers midi trente qu'en effet des obus tombent en beaucoup d'endroits. En auto avec l'Inspecteur de l'Enseignement primaire M. Blanchard, et mon courageux chauffeur, nous gagnons la place de la Liberté. Audrain, qui m'accompagne lui aussi, veut voir le poste souterrain de secours et s'assurer que les réserves de vivres n'ont pas été touchées.

Deux obus tombent devant nous, détruisant deux immeubles en haut de la place. Le médecin et les infirmières gardent tout leur calme dans le poste où on apporte des blessés sur des brancards de D. P.

Le démarreur de la voiture est grippé et nous pensons rester en panne sous les obus, mais après deux ou trois minutes, le chauffeur parvient à mettre en marche le moteur.

Trente minutes plus tard le curé de Sainte-Cécile sera tué là et son auxiliaire aura le bras droit arraché.

Soir.

Il faut ravitailler coûte que coûte les réfugiés de l'abri-tunnel, qui ne peuvent plus aller chercher leur soupe. Une porte de communication existe avec la partie basse prise par les Allemands. Audrain accepte d'aller voir le médecin allemand et de lui demander le passage.

Il revient peu après ayant obtenu satisfaction.

Voisin qui nous accompagne a trouvé un camion, mais il faut chercher des manutentionnaires ; ce sera long et les gens ont faim.

Avec l'Inspecteur primaire, deux de mes adjoints, Audrain, un garçon de la Croix-Rouge et mon chauffeur, nous accompagnons le camion jusqu'à un dépôt de vivres et, sans perdre un instant, chargeons nous-mêmes une tonne de biscuits de guerre et deux cents kilos de sucre qui sont aussitôt portés aux plus dépourvus des habitants du tunnel.

C'est le combat, il n'y a plus de formes, plus de protocole, plus que des malheureux qui, risquant leur vie ensemble, se soutiennent entr'eux.

Vers dix-huit heures, revenus au poste de commandement du secteur Nord, nous entendons une fusillade sur le plateau derrière nous. J'entre dans le couvent et monte en haut de l'immeuble. Du grenier, j'aperçois trois F. F. I. qui, en ligne de tirailleurs, descendent lentement la pente dans l'intérieur même de la propriété. J'annonce la nouvelle et c'est déjà autour de moi une grande joie. La libération tant attendue depuis quatre ans, tant espérée depuis dix jours de souffrances, serait-elle dans quelques instants une réalité ?

La fusillade s'arrête derrière nous mais elle reprend par devant.

De la porte au Sud du jardin, nous apercevons la rue de Trigauville dans laquelle sifflent les balles et sur la gauche à une vingtaine de mètres, en haut de l'escalier qui mène à la rue de la Cité-Havraise, deux corps étendus. L'un est immobile, l'autre s'agite encore. Ces deux jeunes et courageux garçons se sont lancés armés seulement de mitraillettes à l'assaut du blockhaus allemand et ont été fauchés par les balles.

L'un de mes collègues et Garnier, architecte de la Ville, qui est très robuste, s'élancent et ramènent le blessé. Nous le déposons sur mon lit, ma chambre se trouvant proche de l'entrée.

Le pauvre garçon a une blessure au ventre qui a dû amener une perforation de l'intestin. Il souffre et il a du sang dans la bouche.

Il me reconnaît. De façon touchante, il me dit : "Pardon, Monsieur le Maire, d'avoir quitté la défense passive." Je l'embrasse. "Tu sais bien que je t'aurais félicité d'aller faire ton devoir. Toi comme moi nous attendions cette heure-là depuis quatre ans."

Il me répond, le visage crispé par la douleur : "Il y a dix jours que je n'ai pas fermé l'oeil en attendant de passer à l'action." Il me parle de sa situation, me confie son argent, ses papiers et me fait quelques recommandations, puis il semble perdre un peu connaissance.

Un instant après, il ouvre les yeux : "C'est vrai, Monsieur le Maire, que je suis couché dans votre lit ? Je suis content d'être dans votre lit." Puis, de nouveau, la souffrance reprend le dessus.

J'ai dû le quitter pour répondre à d'autres devoirs impérieux. Une Soeur Carmélite, ancienne infirmière de Verdun et qui accompagnait les fusillés de Fresnes pendant cette guerre, l'a admirablement soigné, puis quatre de mes collègues l'ont porté au péril de leur vie dans un hôpital voisin. Il est mort quelques instant après ; sa blessure ne laissait pas d'espoir de guérison. Il s'appelait Gentil. C'était un vaillant garçon, qui s'était dévoué dans la défense passive. Il était aimé de ses camarades.

Il est mort en héros.

Les coups de feu ont repris et continuent de claquer, mais le blockhaus ne s'est pas rendu et des rafales de balles balaient la rue. Avec la nuit, la fusillade s'arrête.

L'ingénieur Choain nous rejoint à ce moment. Il a pu aller sur le plateau et a vu un officier canadien qu'il a renseigné sur les accès de la ville basse et sur les forces allemandes.

La libération est pour demain, il n'y a plus de doute.

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