Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Havre d'avant... ou l'histoire en photo de la ville du Havre et des Havrais avant la guerre...
6 septembre 2008

Au Havre pendant le Siège (7/14)

Suite du récit de Pierre Courant, maire du Havre pendant l'Occupation...

Le début de cette série d'articles se trouve ici : Au Havre pendant le siège, avant-propos.

******************************
Les journées tragiques

Siège et bombardements

Mercredi 6 Septembre 1944

L'aube se lève sur la ville en ruines. Sous un pâle ciel de septembre, nous pouvons mieux mesurer l'étendue du désastre. Les incendies continuent et la fumée sort des maisons effondrées. Epuisés, les pompiers et les jeunes équipiers formés pour les aider, au total près de deux cents hommes, luttent encore, mais leurs moyens d'action sont dérisoires et la destruction des écluses a vidé les bassins. Presque tous les monuments publics sont détruits ; le centre et les quartiers maritimes sont anéantis.

A00557

Ce qui a cessé d'exister représente le logement de près de quatre-vingt mille personnes, une ville plus grande que Caen. Des hauteurs qui dominent Le Havre, on aperçoit, à l'endroit où était la ville, des terres retournées, des tas de pierres, les troncs nus des arbres sur les squares et les boulevards. C'est une grande, une très grande pitié...

On nomme les premiers morts ou disparus : trois médecins, des prêtres, un membre de la Chambre de Commerce particulièrement estimé, le chef de la Sûreté Samin avec toute sa famille, le chef de la Sûreté Samin avec lequel nous venions d'organiser un centre de Résistance.

Mais il faut agir et remettre à plus tard la contemplation des ruines. Des hommes et des femmes peuvent encore être sauvés. Le devoir des vivants est de lutter contre la mort.

Le bouclier établi rue Maréchal-Galliéni et rue Casimir-Périer a protégé ce qui reste de la ville, mais il faut lutter sans cesse contre le feu. Des incendies se déclarent encore. Par endroits, le feu gagne ; ailleurs, il est éteint, mais pendant trois jours il faudra surveiller et défendre les quartiers protégés.
[1]

Il était prévu, pour le cas d'un très gros sinistre, le renforcement immédiat de la défense passive exercée par la mobilisation de toutes les entreprises de travaux publics. Tout manque malheureusement en même temps. Presque personne ne se présente au travail, car chacun est sinistré ou a un proche parent sinistré qu'il recherche sous les décombres ou qu'il veut aider. Seuls, les corps organisés et fortement disciplinés sont vraiment en mesure de continuer leur action, aidés des formations de jeunesse qui montrent une énergie magnifique. L'état-major de ces formations a été extrêmement éprouvé. Le bombardement l'a surpris place de l'Hôtel-de-Ville tenant une réunion. Les principaux chefs des organisations masculines et féminines ont été tués en se dévouant pour sauver les blessés. Cette jeunesse, habituée aux dangers par cent vingt bombardements subis depuis quatre ans, a montré une crânerie admirable.

Nous nous efforçons de recruter de tous côtés des sauveteurs.

Des bruits fantaisistes courent sur l'avance de l'armée assaillante. On la représente comme ayant déjà atteint les limites de la ville. Des nouvelles semblables ne cesseront d'être propagées jusqu'à la libération.

Les destructions allemandes font de nouveau rage. Depuis une semaine, la ville est secouée plusieurs fois chaque jour par l'explosion de mines souterraines, qui anéantissent les ouvrages du port. On nomme les éléments déjà détruits : les cales sèches, les écluses, les quais, les grues. Le patrimoine amassé par les générations passées et l'instrument de travail des hommes d'à présent disparaissent ainsi, jour après jour dans le fracas des détonations.

Dès le matin, nous avons organisé dans les classes du lycée de garçons les principaux services administratifs, dans ces classes qui ont vu mon enfance. La sixième abrite le Service de Guerre, la quatrième le Ravitaillement. La Recette Municipale occupe une classe de langues.

Tout manque à la fois : archives, fiches, registres. Il faut retrouver du papier blanc, des plumes, de l'encre, quelques machines à écrire pour payer le plus tôt possible les secours des sinistrés, leur fournir un logement, recevoir les déclarations de décès en simplifiant les formalités car il n'est plus question d'exiger des certificats médicaux, les médecins ayant assez à faire de soigner les blessés.

Ordre est donné aux chefs des secteurs d'enterrer les morts dans la ville aux emplacements indiqués dans les petites brochures imprimées l'an dernier. Le square Jean-Jaurès, l'hôpital Pasteur, la place Gambetta deviennent des cimetières car les vrais cimetières sont inutilisables faute de transports e
t parce qu'on tire sur eux au canon.

Un pasteur de l'église réformée vient demander l'autorisation d'inhumer dans le jardin où on a trouvé leurs cadavres le Pasteur Boyer, Mme Boyer et plusieurs personnes bien connues.

C'est une impression de profonde misère qui se dégage d'une foule de démarches et de questions posées par des pauvres gens unis dans le malheur, qui n'ont aucun sentiment de révolte, qui même nous remercient d'être là à notre poste et nous donnant tout entiers à notre exténuant labeur.

... La journée se passe ainsi et, vers le soir, ayant absolument besoin d'un peu de repos, je gagne, avec quelques collègues, le bureau du secteur de Georges Patrimonio, établi rue de Trigauville, dans les bâtiments des Soeurs Carmélites. Nous pensons tous y avoir une nuit plus calme qu'au lycée et aussi des liaisons plus faciles avec Graville et avec le plateau.

A peine y sommes-nous parvenus, qu'annoncé par des fusées, un nouveau grand bombardement se produit. Cette fois, il ravage le haut de la ville, les abords de la forêt de Montgeon et des cimetières, Frileuse, Aplemont et la zone côtière comprise entre la Salle des Fêtes de Graville et la sortie d'Harfleur. Encore une fois, de mauvaises nouvelles nous parviennent pendant la nuit. Comme il ne s'agit pas de quartiers construits de maisons juxtaposées, il n'y a pas de risque d'important incendie, mais les petites maisons isolées n'ont pas de caves, elles offrent une faible protection. Fort heureusement, après avoir résisté quelque temps, les habitants se sont décidés à creuser des tranchées individuelles sur nos recommandations répétées et le nombre des victimes s'en trouvera réduit.

A00558

A00561

[1] Dans son "numéro d'adieu", le courageux journal clandestin L'Heure H s'exprimait ainsi : "Le maire était là en 44, maître du navire, reculant, coursive par coursive, pied à pied avec ceux qui l'entouraient, D. P., pompiers au complet, police et tous les autres, jeunes ou vieux, brûlés, harassés, mâchoires serrées et pleurant de rage impuissante, tentant de dépasser le surhumain pour sauver des vies... pour sauver de la ville tout de même quelque chose que vous avez retrouvé."

******************************

Dans ce post, Pierre Courant évoque le rôle des équipiers et la disparition d'un certain nombre d'entre eux, qui périrent lors du bombardement du 5 septembre 1944, tués alors qu'ils tenaient une réunion. Chaque année, un hommage leur est rendu, à la hauteur du 100 de l'avenue Foch... La presse locale de ce jour s'en fait écho :

A00562

Les photographies sont extraites de l'ouvrage de Jean-Paul et Jean-Claude DUBOSQ : Le Havre 1940-1944, cinq années d'occupation en images, éditions Bertout, Luneray, 1995, 1998.

L'image du jour est extraite du Havre Libre daté du samedi 6 septembre 2008.

Publicité
Publicité
Commentaires
G
Merci pour ton commentaire sur mon post d'hier. J'ai rajouté une invitation à consulter ta série sur les bombradements du Havre que tu publies cette semaine.
Derniers commentaires
Publicité
Archives
Le Havre d'avant... ou l'histoire en photo de la ville du Havre et des Havrais avant la guerre...
Publicité