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Le Havre d'avant... ou l'histoire en photo de la ville du Havre et des Havrais avant la guerre...
3 septembre 2008

Au Havre pendant le Siège (4/14)

Suite du récit de Pierre Courant, maire du Havre pendant l'Occupation...

Le début de cette série d'articles se trouve ici : Au Havre pendant le siège, avant-propos.

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Les préliminaires du siège

Dimanche 3 Septembre 1944

Dès le petit jour, dans chacun des secteurs prévus pour le cas de siège, notre organisation offre à ceux qui partent tout l'appui dont nous disposons, mais c'est peu de chose auprès de ce que nous avions mis au point l'an dernier. Tous les préparatifs faits pour transporter l'ensemble de la population ont été anéantis par les réquisitions allemandes et les destructions de véhicules. Les quelques camions qui ont échappé serviront à transporter les infirmes, les vieillards et les enfants. Dans les trois secteurs de l'Est du Havre des adjoints ou des conseillers délégués se tiennent à la disposition de la population.

Les affiches de la sous-préfecture font l'objet de commentaires en général hostiles. A Graville, des ouvriers font remarquer que le sous-préfet n'a pas signé l'affiche et qu'elle doit émaner de la "cinquième colonne". On veut même arracher les affiches.

A la fin de la matinée j'apprends que presque personne ne quitte la ville. Beaucoup s'arrangent avec un parent et iront coucher ce soir dans un autre quartier. Il y a d'ailleurs une appréhension générale d'être surpris par des tirs de barrage et la crainte, fort légitime, d'être mêlé à des combats.

En déjeunant dans une petite salle de l'Hôtel de Ville, nous décidons que M. Delmotte, adjoint aux Services de Guerre, ira avec le commandant Abadie et le secrétaire général voir ce qui se passe à la sortie d'Harfleur.

A quinze heures, M. Delmotte téléphone de la mairie de Graville qu'un violent tir d'artillerie a été déclenché à quatorze heures trente. Les batteries allemandes du plateau ont les premières ouvert le feu, et les canons alliés répondent en balayant la route. Plusieurs obus sont tombés sur le boulevard d'Harfleur et la route Nationale. Des évacués ont dû se jeter dans les fossés pour éviter d'être tués. D'autres refluent. J'emmène aussitôt le sous-préfet à la Kommandantur. Le platzkommandant n'est pas là. Un lieutenant nous reçoit au seuil de l'abri souterrain ; il a auprès de lui une bouteille de champagne aux trois quarts vide. Je lui apprends que, malgré la promesse faite la veille, on fait sortir les réfugiés sous les tirs de barrage et que nous avons décidé de faire arracher les affiches d'évacuation, ne pouvant admettre que la population soit jetée sur le champ de bataille. Visiblement alourdi par des libations, il répond qu'il va demander l'autorisation du platzkommandant ; nous lui faisons remarquer qu'il ne s'agit pas d'une demande d'autorisation, mais que les affiches vont être sans plus tarder arrachées en raison de l'engagement pris hier. Quelques instants plus tard, le platzkommandant nous fait dire que la chose est très sérieuse, qu'il est très ennuyé et qu'il en réfère au commandant de la forteresse.

Rentrant d'Octeville, M. Delmotte nous annonce le bombardement de ce village et du hameau des Quinze-Chênes.

A00551

Enfin, vers seize heures, le platzkommandant, qui paraît fort heureux d'éviter un gros incident, nous annonce qu'en effet on ne peut plus sortir depuis quatorze heures et que le colonel annule l'ordre donné.

A00552

Je fais part aussitôt de la nouvelle à la population qui stationne devant l'Hôtel de Ville ; elle a d'ailleurs été renseignée dès qu'elle a vu disparaître les affiches. Déjà, des soldats allemands se livraient à des voies de fait sur les habitants d'Octeville et de Fontaine-la-Mallet.

Nous aurions aimé que sans contrainte, la population suivit mieux les conseils d'évacuation que nous donnons depuis près de deux mois (nos appels pressants de mai et juin dans le journal Le Petit Havre n'ont fait partir que quelques centaines de personnes), mais les dés sont maintenant jetés.

Fort heureusement, presque tous nos enfants sont à l'abri dans l'Eure-et-Loir, l'Eure, la Seine-Inférieure ou dans d'autres départements où, depuis trois ans, nous les avons, avec l'actif concours des maîtres de l'enseignement et de l'Inspecteur Blanchard, méthodiquement placés et soutenus. Au total, la population urbaine est partie dans la proportion de quatre-vingts pour cent, mais il reste encore quarante mille personnes environ dans la ville, et les communes du camp retranché conservent la plupart de leurs habitants d'avant-guerre, environ vingt-cinq mille sur trente-cinq mille.

Nous aurons au moins évité le choc entre les troupes allemandes et la population, choc inutile puisque la Résistance ne peut encore tenir tête aux douze mille hommes que paraît compter la garnison de la place forte.

C'est le début du siège. Au soleil couchant, je traverse nos jardins qui sont plus beaux que jamais. Les rues sont propres, les ruines sont presque partout déblayées, nos cicatrices récentes sont déjà séchées.

Puisse le but de trois ans d'efforts être atteint et les Alliés, lorsqu'ils entreront au Havre, être étonnés comme l'ont été tous nos visiteurs du courage mis par notre pauvre ville à lutter contre l'adversité et à préparer la reprise de son activité.

La seconde illustration est extraite de l'ouvrage de Jean-Paul et Jean-Claude DUBOSQ : Le Havre 1940-1944, cinq années d'occupation en images, éditions Bertout, Luneray, 1995, 1998.

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